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LA AKEDAT ITSH'AK OU L'HISTOIRE D'UN MALENTENDU

Dimanche 02 novembre 2014

LA AKEDAT ITSH'AK OU L'HISTOIRE D'UN MALENTENDU


L'histoire est bien connue. Après avoir longtemps espéré en vain la naissance d'un fils, Avraham, au seuil de l'extrême vieillesse, voit cette espérance se réaliser en la personne d'Itsh'ak. Ne nous y trompons pas. La naissance d'Itsh'ak ne vient pas simplement combler chez Avraham un légitime désir de paternité. Bien au-delà, cette naissance lui offre enfin la réelle possibilité de délivrer, à la génération qui le suivra, le message du monothéisme, dont la découverte fut la grande affaire de sa vie. Avec la naissance d'Itsh'ak, c'est non seulement la survie d'Avraham, à titre individuel, qui semble assurée, mais aussi et surtout celle de son message. Or, au  terme d'une vie toute entière traversée de difficultés et d'épreuves, et alors qu'il rêvait peut-être alors d'une fin d'existence sans nuage, Avraham se trouve confronté à la parole de D.  qui, semble-t-il sans ménagement aucun, lui ordonne:
"Prends à présent, ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Itsh'ak, et vas- t'en  vers la terre de Moria et offre-le en holocauste sur l'une des montagnes(éh'ad héharim) que Je t'indiquerai par la parole." (Béréchit, 22:2)


Contre toute attente, sans essayer le moins du monde de négocier alors que les arguments qu'il aurait pu faire valoir pour se dérober à cet ordre ne manquaient pas, Avraham obtempère sans rechigner à l'injonction divine et se met en route. Au terme de trois jours de voyage "Avraham leva les yeux et aperçut de loin l'endroit (où il devait accomplir le sacrifice de son fils)" (ib. 4). Après avoir procédé aux préparatifs nécessaires au sacrifice, et tandis qu'il s'apprêtait à lever le couteau contre son fils, une voix céleste se fait entendre: "Ne lève pas la main contre le jeune homme et ne lui fais rien, car maintenant Je sais que tu crains D. (ib.12) A cet instant, Avraham aperçoit un bélier dont les cornes s'étaient emmêlées dans un buisson, il s'en saisit et l'offre à D. en sacrifice en lieu et place de son fils Itsh'ak.


 

TROIS QUESTIONS

 

Ce texte, ici succinctement résumé, est quasiment à chaque mot, source de multiples interrogations. Nous nous bornerons, dans le cadre de cet article, à en relever trois:
 

1) Dans le livre de Jérémie, D., par la bouche du prophète, accuse Israël en ces termes: "Ils ont construit des hauts lieux, et y ont passé leurs fils et leur filles par le feu, chose que Je n'avais ordonnée et qui ne m'était même venue à l'esprit." (Yirmiyaou 7:31) Dans ce verset Dieu fait reproche à Israël de s'être livré, à l'instar des peuplades idolâtres qui l'entouraient, à des sacrifices humains sur la personne de leurs enfants.
Et le Midrach de commenter: "Ce verset fait directement référence à la Akédat Itsh'ak (le sacrifice non abouti de Itsh'ak)

 

Textes stupéfiants, et ce à double titre: d'une part, comment D. peut-il affirmer n'avoir jamais donné un ordre invitant à un sacrifice humain, et que l'idée d'un tel ordre ne lui serait même jamais venue à l'esprit, alors que de manière on ne peut plus explicite, c'est bien un ordre de ce type qu'Il donna à Avraham à propos de son fils Itsh'ak. D'autre part, l'enseignement du Midrach apparaît pour le moins paradoxal: comment peut-il en effet se permettre d'établir une équivalence entre l'ordre clairement donné par D. à Avraham de sacrifier Itsh'ak et le rejet de tout sacrifice humain qui s'exprime au travers de la parole du prophète Jérémie!
 

2) Si nous relisons avec attention le verset au sein duquel D. ordonne à Avraham de sacrifier Itsh'ak, nous remarquons qu'Il lui signale que le lieu exact où ce sacrifice devra être réalisé lui sera indiqué ultérieurement par le biais d'une parole à venir: "… et offre-le en Holocauste sur l'une des montagnes (éh'ad héharim) que Je t'indiquerai par la parole." Or, bizarrement, lorsque nous nous penchons sur la suite du texte, nous ne trouvons nulle trace d'une telle parole. Plus encore, il semblerait qu'Avraham n'ait eu aucun besoin d'une quelconque information touchant au lieu du sacrifice et qu'il s'y soit rendu comme si, dès le départ, il connaissait sa destination, ce dont atteste le verset "Avraham leva les yeux et aperçut l'endroit de loin" sans que D. n'ait eu besoin de le lui désigner. Apparemment, une incohérence de plus!
 

3) Toute parole, et au premier chef celle de D., est efficiente, c’est-à-dire qu'elle ne peut manquer, d'une manière ou d'une autre, de se traduire en acte. Ainsi que nous le disons chaque jour dans l'office du matin: "Béni soit Celui à qui il a suffi de parler pour que le monde existe." S'il s'avère donc que D. a effectivement ordonné à Avraham de sacrifier Itsh'ak et qu'Avraham de son côté n'a placé aucun obstacle sur la voie de la réalisation de ce vœu, nous ne comprenons pas comment il se peut qu'Itsh'ak n'ait pas été finalement sacrifié.

 

UN VERSET RELU ET CORRIGE

 

Au vu de ces questions, une conclusion provisoire semble s'imposer d'emblée: face aux difficultés précitées, il est impossible d'admettre que D. a réellement exigé d'Avraham le sacrifice d'Itsh'ak. Mais alors, comment comprendre le verset que nous citions en introduction: "Prends à présent, ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Itsh'ak, et vas- t'en  vers la terre de Moria et offre-le en holocauste sur l'une des montagnes que Je t'indiquerai par la parole." N'est-il pas fait ici état d'un ordre sacrificiel nominatif désignant Itsh'ak? !


En réalité, enseigne le Malbim, ce verset doit, pour être compris, être l'objet d'une relecture radicale.
Cette relecture va trouver son point d'ancrage dans une remarque stylistique valable pour l'ensemble du texte biblique::


Dans la langue biblique il existe, pour désigner un élément pris dans un ensemble, deux formes stylistiques différentes. Ainsi par exemple, et pour en revenir au vif de notre sujet, il existe deux manières de dire "l'une des montagnes":
- éh'ad mééhéharim: formulation désignant un élément indéterminé au sein d'un ensemble
- éh'ad héharim: formulation désignant un élément déterminé au sein d'un ensemble.

 

Ainsi, puisque dans notre texte nous avons affaire au second type de formulation, nous pouvons en conclure  que la montagne sur laquelle Avraham devait procéder au sacrifice était d'emblée connue de lui. Nous comprenons ainsi pourquoi D. n'a pas eu besoin de la lui indiquer ultérieurement.
Comment était-elle connue d'Avraham? C'est que, explique le Malbim, cette montagne était le Mont Moria, montagne célèbre pour devoir être dans le futur, le lieu d'érection du Beth Hamikdach. C'est cette montagne qui donna son nom à la région où elle se trouvait, "la terre de Moria" et non pas l'inverse. Le caractère spécifique de cette montagne était dès cette époque connu d'Avraham. Il ne faut donc point s'étonner de voir Avraham l'identifier de lui-même.

 

Ceci posé, affirme le Malbim, nous nous trouvons dans l'obligation de lire et de comprendre de manière toute autre notre verset de référence: "… et offre-le en holocauste sur l'une des montagnes que Je t'indiquerai par la parole". En effet, en fonction de ce qui a été expliqué précédemment, l'expression "sur l'une des montagnes" doit être à présent comprise dans le sens suivant: Sur cette montagne parmi d'autres qui t'es parfaitement connue, à savoir le Mont Moria.
A ce stade du développement, il devient donc tout à fait clair que l'expression "…que Je te désignerai" ne peut en aucune façon concerner le lieu du sacrifice, dès lors que ce dernier était d'emblée identifié par Avraham. Mais quoi d'autre alors? Eh bien, tout simplement non pas le lieu du sacrifice mais l'objet du sacrifice!
Pour le dire autrement, si Avraham, à l'écoute de l'ordre divin, s'était livré à un méticuleux travail d'exégèse biblique, c'est ainsi qu'il l'aurait compris:
"Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, et va-t'en vers la terre de Moria et offre là-bas, sur cette montagne parmi d'autres qui t'es parfaitement connue, ce que Je te dirai (d'offrir)", à savoir le bélier.

 

Les questions posées en préalable trouvent ainsi leur réponse. Effectivement, jamais D. n'a donné l'ordre à Avraham de sacrifier Itsh'ak. Dès lors, le fait que celui-ci n'a pas été sacrifié ne remet pas en cause l'efficience de la parole divine. Quant à l'absence d'information complémentaire concernant le lieu du sacrifice, nous l'avons déjà  expliquée: il était dès l'origine connu d'Avraham.

 

DIN (RIGUEUR) ET H'ESSED (BONTE)

 

En somme, la clé du problème repose sur un malentendu, au sens propre du terme, de la part d'Avraham: D. dit une chose et Avraham en entend une autre. Comment cela se peut-il? De fait, explique le Malbim, Avraham en cette circonstance s'est laissé emporter par ce qui constitue sa vertu cardinale, celle du H'éssed, du don de soi, sans nul souci de lui-même et de qui lui était encore plus cher que lui-même, son fils, son unique, son chéri, Itsh'ak.
 

Ceci permet d'expliquer la place prépondérante qu'occupe cet épisode durant la fête de Roch Hachana. Lors de cette fête qui est aussi dénommée Yom Hadin, le Jour du Jugement, jour durant lequel chaque être humain voit D. décider de son sort après avoir scruté ses actes au plus près, le peuple juif évoque la mémoire et le mérite d'Avraham, qui a su, à l'instant peut-être le plus tragique de son existence, faire taire les arguments logiques, ô combien recevables, qu'il aurait pu faire valoir, pour au contraire ne laisser place qu'au Héssed. Ainsi que l'enseigne le Midrach, Avraham aurait pu rétorquer à D.: Comment peux-Tu me donner l'ordre de sacrifier Itsh'ak? Ne m'as-Tu pas promis, depuis bien longtemps déjà de me donner un fils qui m'assurera une descendance aussi nombreuse "que les étoiles des cieux et les grains de poussière de la terre"? Et pourtant, loin de toute velléité de négociation et de marchandage, Avraham fait taire au Din, la rigueur de la logique, pour se plier sans ambages à la volonté divine. C'est à cette abnégation du Din devant le H'éssed à laquelle nous faisons appel à D. le jour du Jugement. Nous lui demandons en quelque sorte de se comporter à notre égard à l'exemple de ce que fut le comportement d'Avraham à Son égard: tenir autant que faire se peut le Din à l'écart pour ne voir s'exprimer que Son H'éssed qui seul peut permettre le pardon de nos fautes.

 

R. Avraham COHEN-ARAZI

L'étude d'aujourd'hui est dédiée à la réfoua chélema de Rabbi Avraham Moréno Albert Ben Rivka. 

Merci de prier pour lui !!